Commande du Festival International Harpe en Avesnois
Création interprétée en 1ère mondiale le 16 Septembre 2023 à Maubeuge
Avec Anna Loro harpe et Andrea Oliva flûte.
Il s’agissait de dialoguer musicalement avec les gravures de Gustave Doré exposées au musée Henri Boëz de Maubeuge dont le sujet est la Divine Comédie de Dante.
En 1985 j’avais acheté les trois volumes de la Divine Comédie en version bilingue, éditée par Flammarion.
A chaque fois que mon regard se portait sur ces trois livres dans ma bibliothèque, je me disais : cet été je me lance dans la lecture de Dante.
Il existe ainsi des livres que nous achetons et que nous ne lisons pas…
Mais cette fois-ci, je remercie les responsables du Festival « Harpe en Avesnois » de m’avoir fait cette proposition car cela a été enfin le déclencheur de ce vieux désir de lecture.
Belle découverte de ce terrible texte ! La lecture de l’Enfer m’a donné des cauchemars…
Mais ce qui m’a le plus émerveillée, c’est la symbolique des nombres : il y a trois étapes : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, donc 3 « cantiche » composés chacun de 33 chants. Chaque strophe est formée de 3 vers dont le premier rime avec le troisième; et le deuxième avec le premier de la strophe suivante.
Dante emploie cette terza rima (tierce rime) dans la totalité de cet immense poème qui se déroule comme une seule tresse, dans un mouvement rapide et continu.
Nel mezzo del camin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura
ché la diritta via era smarrita.
Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
esta selva selvaggia e aspra e forte
che nel pensier rinova la paura!
Tant’è amara che poco è più morte
En outre, le vers employé par Dante est l’hendécasyllabe (11 pieds).
Jacqueline Risset nous explique qu’il s’agit d’une véritable « Trinité prosodique »: aux 33 chants qui composent chacune des 3 parties du poème, correspondent des cellules de base (les strophes elles-mêmes formées de trois vers de 11 pieds: chacune a donc 33 pieds)
Et comme il y a un Canto 1 introductif à toute l’œuvre le total des chants est 1+33+33+33=100 : le chiffre 1 représente l’unité, alors que les 3 sont associés à la Sainte Trinité…
J’ai donc décidé de construire ce duo flûte et harpe en 11 sections, dans une durée approximative de 11minutes, et à partir d’un « réservoir » de 11 accords.
Le déroulement de la musique suit les grandes étapes du texte de Dante :
I- Un début très lent : Dante se trouve, saisi par l’angoisse, dans une « selva oscura »
au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par une forêt obscure
car la voie droite était perdue
J’ai voulu créer ici un climat étrange, inquiétant.
II- Le mouvement s’anime lorsque Virgile apparaît et propose à Dante de le guider lui expliquant que pour sortir de cette forêt il faut d’abord traverser l’Enfer…
III- la musique devient encore plus agitée, sur le thème de l’angoisse de Dante lorsqu’ils arrivent devant la porte de l’enfer
Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate
IV – le « vivace » avec les grondements de la harpe et les chromatismes criards de la flûte évoquent les premières horreurs découvertes par Dante : immersion des condamnés dans la boue, le sang ou les excréments
V- Evocation, cette fois-ci dans un mouvement très lent et avec des sons étranges, d’une nouvelle série d’horreurs
VI- on retrouve le même matériau sonore, plus fourni, figurant l’angoisse de Dante lorsque l’on descend jusqu’au fond de l’enfer où se trouve le diable, coincé dans la glace !
VII- C’est l’apaisement sur un thème musical plus mélodique, lorsque Dante et Virgile remontent de l’Enfer pour atteindre la plage du Purgatoire
VIII- et l’on sort enfin dans un monde clair, une musique légère et joyeuse pour illustrer les derniers mots de ce premier volume : a riveder le stelle.
IX- « Les pénitents chantent et gravissent les sept cercles de la montagne » sur le motif de l’apaisement du Purgatoire. Puis Virgile – qui n’a pas le droit d’entrer au Paradis parce qu’il n’a pas été baptisé (et pour cause !) – quitte Dante et le confie à Béatrice sa bien-aimée.
X- Arrivée au Paradis : « extase et fulguration » : les étoiles fixes » (les deux instruments jouent en harmoniques) …
XI- …puis l’Empyrée représentée comme une rosace céleste par Gustave doré, et musicalement par la reprise des accords de base.
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